Le timbre est fébrile mais le discours déterminé. “Bonsoir, nous collectons des signatures afin de demander la tenue d’un référendum sur la candidature de Budapest aux Jeux olympiques d’été 2024. Accepteriez-vous de signer la pétition ?” Ce jeudi 16 février, Bence, Petra et Marcell, 69 ans à eux trois, font du porte-à-porte dans une cité HLM du sud-ouest de Budapest. Ils l’ignorent encore mais le lendemain, date butoir de la campagne anti-JO, NOlimpia, lancée mi-janvier par le mouvement Momentum dont ils portent les pin’s, le charismatique leader barbu de ce dernier, András Fekete-Győr, déposera 266 151 paraphes à l’office électoral national. Le double du nombre nécessaire à une consultation populaire sur le sujet.
Pendant un mois, les “Momentumosok”, comme on les appelle en Hongrie, ont battu la campagne au pas de charge. Une trentaine de stands occupant les lieux stratégiques de la capitale, des dizaines de vidéos Facebook mobilisatrices, des tas d’interviews et d’interventions télé dénonçant la pluie d’argent destinée aux JO alors que les écoles et certains hôpitaux en piteux état se voient incapables de
se payer des rouleaux de papier toilette. Les prévisions évoquent au moins 3 000 milliards de forints (9,76 milliards d’euros) entre les frais de candidature (représentation, événements…) et les infrastructures à bâtir. Une fortune pour Budapest qui a déjà loupé cinq fois l’investiture du CIO. “Nous avions besoin d’une cause suffisamment fédératrice pour lancer Momentum dans le grand bain et les JO, brassant une énorme force symbolique, en sont une, explique le no1 du mouvement, jeune juriste réunissant le Parlement européen, le Bundestag et la Chambre internationale de commerce de Paris sur son CV. Je suis rentré exprès de Bruxelles parce que je crois en notre projet. Je crois en la construction d’un vaste réseau citoyen national dépassant le clivage droite/gauche et prenant en compte les problématiques de la province trop souvent délaissées par Budapest. Organiser des JO au mépris de l’état de nos finances publiques et de l’état du pays en lui-même est un non-sens.” Les maux magyars sont multiples selon Fekete-Győr : fuite des médecins et des chercheurs vers des salaires largement plus confortables à Vienne ou Munich, résultats PISA désastreux et manuels d’État imposés aux enseignants du public rémunérés une paille (500 euros nets par mois), administration éléphantesque, corruption endémique, système d’imposition injuste (16% à la source sur le revenu, quelle que soit la paie), décrédibilisation des partis classiques, manque criant de solidarité à l’égard des couches défavorisées… Sans oublier la crainte de représailles ayant dissuadé de nombreux employés d’organismes d’État ou ayant des proches travaillant pour l’État de cautionner NOlimpia.
Un parti dans les prochaines semaines
Outre l’implication des militants Momentum, la pétition doit aussi son succès à l’appui de certaines formations d’opposition venues gonfler le total de signatures. Les Verts du LMP (“La politique peut être différente”) en ont apporté 23 000, les écolos-europhiles de Párbeszéd (“Dialogue”) 12 000 et les sociaux-libéraux d’Együtt (“Ensemble”) 10 000. Parmi les sympathisants NOlimpia, on trouve aussi le farfelu Parti du chien à deux queues et ses 4 600 paraphes agglutinés au programme extravagant (bière gratuite et vie éternelle, entre autres). Sur l’une de ses affiches récentes visibles à Budapest, l’espiègle canidé estime notamment qu’il “vaudrait mieux construire une démocratie avant de penser aux JO”. Une démocratie à laquelle Momentum se voit bien œuvrer depuis le Parlement aux prochaines législatives d’avril-mai 2018. Capitalisant sur le raz de marée NOlimpia, Fekete-Győr et ses camarades ont décidé de passer à l’étape supérieure en décidant de lancer un parti dans les prochaines semaines. Objectif : conquérir les 30% de l’électorat hongrois boudant à la fois le Fidesz radicalisé d’Orbán stigmatisant les migrants, les socialistes du MSZP plombés par des scandales financiers et les extrémistes du Jobbik peinant à se “dédiaboliser” façon Marine Le Pen malgré un discours sensiblement poli. L’aventure a débuté à neuf au printemps 2015 et rassemble actuellement près d’un millier d’activistes. Les piliers occupent une cave du VIIe arrondissement de Budapest, près de l’épicentre festif, réaménagée en QG où les bouteilles vides de Pepsi et de vin blanc côtoient des plans de développement pour la province. “C’est un ancien salon de coiffure, certaines salles sont encore inutilisables à cause de l’amiante. Chacun des 145 membres verse 1 000 forints (3,30 euros, ndlr) par mois et les contributions paient le loyer, précise Ede qui monte les contenus vidéo quand elle ne réalise pas des pubs ou des films d’entreprise. Je mixe mes connaissances de vidéaste et de politologue au service du mouvement. D’autres ont étudié l’économie, l’enseignement ou la médecine. L’union de nos expertises enrichit le programme.”
Momentum phosphore via sa commission emploi et ressources humaines, son pool santé, sa branche éducation ou son groupe informatique à l’origine d’un jeu rigolo consistant à accumuler un max de forints avec le personnage du logo Budapest2024 histoire de voir combien de salles de classe ou de lits d’hôpital auraient pu être financés par rapport à l’enveloppe envisagée en vue des JO. Et veut propager son message dans les dix-neuf comitats (régions) du territoire à travers une longue tournée de 45 jours. Le Momentum Tour s’est invité à Szeged (Sud) le 24 février avant de rallier Komárom (Nord) à proximité de la Slovaquie le 25. Bientôt des crochets par Győr (Nord-Ouest), Debrecen (Est) et Pécs (Sud-Ouest) ?
“Ce genre de régime s’effondre forcément”
Malgré la mue extrêmement précoce, la cave conserve son cachet foyer lycéen, le baby en moins. András et compagnie se marrent durant un shooting de l’hebdo Magyar Narancs –équivalent des Inrocks s’il fallait une comparaison. Anna valide sourire aux lèvres la dernière production d’Ede où le président du mouvement
demande des comptes en caméra cachée à la société portant la candidature olympique. Tamás répond entre deux plaisanteries à une reporter de la chaîne d’info de gauche ATV qui signe ensuite la pétition anti-JO réservée aux résidents pestois avec le caméraman et l’ingé-son. Parallèlement, Gergő, diplômé de sciences politiques et ancien journaliste, filtre les requêtes médias. “On reçoit au moins une demande par jour et le nombre n’a fait qu’augmenter, surtout après la visite de Vladimir Poutine à Budapest (le 2 février, ndlr), assure le monsieur presse de Momentum. Je me suis engagé à l’été 2015 grâce à l’un des neuf historiques car j’estimais que les choses allaient vraiment dans la mauvaise direction chez nous et je le pense plus que jamais. Les jeunes magyars sont d’ordinaire fatalistes et dépolitisés mais là, ils s’intéressent autant que le New York Times, Reuters ou Der Spiegel au changement de modèle que nous proposons. Pas certain que l’on puisse renverser la table en 2018 mais j’ai plutôt bon espoir pour 2022. Ce genre de régime s’effondre forcément à un moment.”
Le parcours et le vocable rappellent ainsi furieusement ceux de Viktor Orbán imaginant la Fidesz dans un dortoir de la cité universitaire István Bibó. En 1988, l’étudiant en droit dissident désormais dirigeant autoritaire voulait terrasser le communisme du goulash en surfant sur une dynamique citoyenne. L’élan de liberté avait alors contraint les chars soviétiques à quitter la Hongrie, ce qu’Orbán exigeait lors d’un célèbre discours prononcé sur la place des Héros. Vingt-neuf ans plus tard, le surprenant Momentum oblige Budapest à lâcher officiellement la course aux JO 2024 comme annoncé mercredi, laissant Paris et Los Angeles seules en lice. Reste à savoir si la vague peut se transformer en déferlante.