Comment en est-on arrivé là ?
Les relations entre le pouvoir central et la Catalogne ont toujours été plus ou moins distendues au fil de l’histoire. Au même titre que le Pays basque, la Catalogne est une région à part. Les revendications quant à la tenue d’un référendum au nom du droit d’autodétermination ne datent pas d’hier et leur fréquence s’est intensifiée depuis le début des années 2000. “Au début, ces demandes étaient formulées un peu pour le principe, en sachant que la réponse serait négative. C’était une manière de rappeler cette revendication”, note Cyril Trépier, auteur du livre Géopolitique de l’Indépendantisme en Catalogne. Après le rétablissement de la démocratie, entre 1978 et 2012, la Catalogne était gouvernée par des partisans de l’autonomie renforcée, ou des catalanistes modérés. On est
depuis passé à une stratégie d’affrontement. Selon Cyril Trépier, on doit la situation actuelle à l’effondrement d’idéologies historiques. “Le communisme, et surtout le socialisme catalan, qui a toujours gouverné en coalition ou seul jusqu’en 2011, se sont effondrés au profit d’un parti explicitement indépendantiste, l’ERC, entré au gouvernement fin 2003. Ses membres ont contribué à lancer le long et complexe processus de révision du statut d’autonomie catalan de 79 et revendiqué ce référendum d’autodétermination, avec évidemment la certitude d’une réponse négative de la part de Madrid. Mais c’était une manière de se démarquer de nationalisme modéré.” À cela s’ajoute l’effritement au profit de l’ERC de la base électorale du traditionnel catalanisme modéré de centre droit, partisan d’une autonomie renforcée sans pour autant entrer en guerre ouverte avec le pouvoir central. On est depuis passé à une stratégie d’affrontement. Lors des élections de 2015, l’actuel président de la Generalitat, Carles Puigdemont, avait mis l’indépendance au cœur de son programme, là où les anciens gouvernements n’en faisaient pas un enjeu prioritaire. Ce revirement s’explique en partie par le renouvellement générationnel du paysage politique. Il s’avère que la jeune génération est beaucoup plus indépendantiste que celle qui l’a précédée.
Dans le même temps, pendant que Puigdemont se faisait élire sur sa volonté de faire de sa province un état souverain à part entière, le gouvernement central a joué l’immobilisme. “Rajoy n’a jamais cru qu’ils iraient jusqu’au bout, analyse Christian Hoarau, auteur de La Catalogne dans tous ses états. Il a d’une certaine façon joué l’immobilisme et il paye ce manque de dialogue aujourd’hui. Le parlement catalan, dont la majorité absolue est composée d’indépendantistes, a fait adopter loi autorisant le référendum unilatéral. Puis, début septembre, a été votée une loi de transition juridique, qui consiste à créer un ordre juridique nouveau en violation de la constitution espagnole. Le pouvoir central s’est rendu compte que se tiendrait le premier octobre un référendum qu’il ne souhaite pas autoriser.” Depuis, le pouvoir central a utilisé toutes les pressions et moyens légaux pour faire plier le gouvernement catalan : il a donné l’ordre à la police autonomique de se mettre sous l’autorité de la guardia civil, a coupé le robinet au niveau financier, a inculpé des maires et a donné des avertissements aux directeurs d’établissements scolaires qui comptait ouvrir les portes de leurs établissements pour la tenue du scrutin.
Doit-on s’attendre à une forte participation ?
Seule certitude : au niveau national, ce référendum est illégal et ne remplit pas les critères pour que son résultat soit reconnu aux niveau des instances internationales. Mis à part Maduro, le leader vénézuélien, aucun dirigeant n’est prêt à reconnaître la Catalogne en cas de victoire du oui ce dimanche. Pour le reste, c’est le grand flou. Déjà au niveau de la tenue matérielle du scrutin. “La guardia civil fera en sorte d’empêcher les gens de voter, prédit Christian Hoarau. Quant aux urnes, on ne sait pas trop où elles sont.” Info récente : le gouvernement catalan souhaiterait utiliser des locaux relevant du département de la santé, comme des hôpitaux ou des dispensaires, pour permettre aux citoyens d’aller déposer leurs bulletins. Une fois ces contraintes évoquées, reste à savoir si les habitants oseront se déplacer. Là encore, dur de faire un pronostic. Cette désorganisation matérielle peut jouer sur la participation. En même temps, le déploiement des forces de police a mobilisé des gens qui n’étaient pas intéressés
par la question à la base. “Des catalans peuvent très bien aller voter, même non, juste pour montrer qu’ils ne se laisseront pas faire par Madrid”, appuie Christian Hoarau. Il paraît donc extrêmement difficile de savoir si la participation sera supérieure ou inférieure au chiffre de 68% annoncé par le dernier sondage en date sondage qui date de juin. Selon lui, si le oui espère l’emporter, la participation ne doit pas excéder la barre des 70%. “Au-delà, ça signifierait que ce sont les gens qui sont contre l’indépendance qui se sont mobilisées en masse.” Les sondages sont ce qu’ils sont mais en effet, malgré l’extrême détermination du pouvoir parlementaire local, le oui ne semble pas favori. “Sauf que les opposants à l’indépendance n’appellent pas à voter non mais à boycotter ce scrutin illégitime et inconstitutionnel. Donc il est possible que seuls les indépendantistes convaincus se déplacent”, avance Cyril Trépier. Hormis le CUP, Junts Pel Si et Podemos, qui se déclare neutre, tous les partis politiques de droite comme de gauche ont donné le non comme consigne de vote. Au-delà du débat sur l’indépendance de la Catalogne, ces partis se sentent bafoués par le processus de référendum enclenchés par les nationalistes, qu’ils considèrent illégal, anticonstitutionnel et pas vraiment démocratique. Cela semble mal parti pour les partisans d’une Catalogne indépendante, donc, d’autant qu’entre 2013 et 2016, cette idée a reculé de dix points dans les sondages et ne motive plus qu’un tiers des habitants selon une dernière étude (35% pour être précis, alors que 22% estiment que la Catalogne doit être un état au sein d’une Espagne fédérale et 31% souhaitent le statu quo). “Si le non l’emporte, le courant indépendantiste catalan ne disparaîtra pas pour autant, prévient néanmoins Cyril Trépier. Ses partisans sont au fait de la trajectoire de leurs homologues en Écosse ou au Québec : le non l’a emporté dans les deux cas mais le mouvement continue d’exister. Et puis, ils sont au pouvoir…”
Y a t-il une sociologie du vote pro indépendance ?
Barcelone étant une “ville-monde”, la Catalogne intérieure et le monde paysan semblent plus indépendantistes que la population de la capitale. Toutefois, Gérone, ville d’envergure, est une zone à majorité indépendantiste. “Dans les banlieues rouges barcelonaises, historiquement socialistes, on constate que 46% de la population est pour le maintien du statut de communauté autonome en Espagne”, relate Christian Hoarau. Il apparaît également que le soutien ou non à l’indépendance dépend de l’origine sociale et économique. Le soutien est ainsi plus massif chez les Catalans ayant des parents et grands-parents catalans et disposant de revenus au dessus de la moyenne. Chez les personnes disposant de plus de 4000 euros par mois, le oui à l’indépendance atteint 54%, tandis que le non atteint 59% dans la tranche 900-1200 euros. Christian Hoarau : “Il y a deux facteurs explicatifs à la relation soutien à l’indépendance et niveau de revenu: une aversion au risque du processus d’indépendance chez les personnes les plus en difficultés économiquement d’une part et le facteur sécurité d’autre part. Les Catalans nés hors de Catalogne sont moins indépendantistes car ils ont peur d’être mal considérés.” Logique : les catalans les plus modestes sont souvent ceux qui parlent le moins catalan de manière spontanée. Dans tous les cas, la frontière en termes de revenus semble fixée à 1800 euros par mois. Entre 1200 et 1800 euros mensuels, le Non atteint 51%. Dans la fourchette 1800/2400 euros de salaire, le Oui atteint 53%.